Entretien avec Thierry Lassalle

Prêt pour la réforme des études en Kinésithérapie !

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Entretien avec Thierry Lassalle

Responsable pédagogique de la 2ème année de l’IFMK (Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie) Ecole d’Assas, Thierry Lassalle est aux avant-postes face à la mise en œuvre de la réforme des études de kinésithérapie à l’École. Entré à l’Ecole d’Assas en 1990, il est l’un des cadres les plus expérimentés de l’équipe enseignante. Homme qui prend son temps, il a passé au fil des ans une maîtrise puis un DEA en sciences de l’éducation sur le sujet de « L’intelligence en kinésithérapie ». Se poser des questions est sa nature mais, pour une fois, il a fait une pause et répondu aux nôtres.

L'IFMK Assas est paré pour la réforme des études de kiné.Comment êtes-vous arrivé à l’Ecole d’Assas ?

TL : Je me suis formé à Saint-Maurice, diplômé en 1979. Ensuite, j’ai pratiqué en hôpital et centre de rééducation pendant une dizaine d’années. J’étais attiré par les pathologies lourdes et l’activité libérale ne m’intéressait pas. Pendant six ans, à l’hôpital du Vésinet, j’ai été confronté à une grande diversité de cas, aussi bien en neurologie qu’en orthopédie, comme en traumatologie et rhumatologie ; les seuls domaines que je n’ai pas connus étaient la pneumologie et la pédiatrie.
Quand on est praticien à l’hôpital, on accueille régulièrement des stagiaires et on est naturellement amené à leur expliquer tel geste ou telle intervention. Alors que je suis de nature plutôt réservée, je me suis rendu compte que le courant passait bien avec les étudiants : je parlais avec l’un d’entre eux puis un autre s’approchait puis encore un autre et, à la fin, j’avais tout un groupe attentif autour de moi, ce qui était valorisant.
Or, dans un des centres de rééducation où je travaillais, j’avais comme collègue quelqu’un qui était formateur dans une école pour déficients visuels et m’y avait invité ; lui-même était déficient visuel et j’étais fasciné par la façon dont il communiquait avec ses élèves, par le fil conducteur qu’il savait tirer pour dérouler son cours. Bref, à un moment donné, je me suis dit que c’était ce que j’avais envie de faire.
Au bout de 10 ans de pratique hospitalière, je me suis donc inscrit à l’école des cadres qui était le passage obligé pour être formateur. J’ai pu ainsi profiter du double cursus qui se mettait alors en place pour passer une licence en sciences de l’éducation.
Peu après ma sortie de l’école des cadres, une collègue m’a invité à Assas pour faire passer un examen de première année et j’ai été enthousiasmé par les questions qui étaient posées aux étudiants et la façon dont ils y répondaient. Je connaissais déjà l’École par le biais d’une proche qui s’y était formée et j’avais eu des stagiaires qui y étudiaient mais je n’aurais jamais imaginé y enseigner si, à la même période, un poste ne s’y était libéré.

Avez-vous continué à pratiquer ?

TL : Dans un premier temps je me suis partagé entre l’hôpital le matin et l’enseignement l’après-midi mais au bout de deux/trois ans je me suis aperçu que j’étais en tension entre les deux activités : le matin, à l’hôpital, je pensais à mes cours et l’après-midi, à l’école, je pensais aux patients. Finalement, j’ai choisi de privilégier l’enseignement.

À quel moment êtes-vous devenu responsable pédagogique ?

TL : En 1995, quand le poste a été créé à l’initiative de Jean Signeyrole, le directeur de l’époque. Le responsable pédagogique est l’interlocuteur privilégié de l’équipe enseignante comme des élèves, c’est la figure du référent. C’est un rôle à la fois administratif et relationnel que j’ai toujours exercé pour la K2.

Précisément, quelle place occupe la deuxième année dans le parcours d’élève masseur-kinésithérapeute ? Du moins dans le cursus tel qu’il a existé jusqu’à la réforme ?

TL : La K2, c’est un choc, un conflit cognitif entre la théorie enseignée à l’école et la réalité rencontrée sur le terrain. C’est un moment de tension entre une « belle » et une « moins belle » kinésithérapie. Cela comporte des hauts et des bas mais c’est aussi un moment d’orientation où les étudiants – qui souvent ne voyaient pas plus loin que la kiné sportive – se découvrent une vocation pour la cardiologie ou la pédiatrie par exemple et commencent à imaginer leur projet professionnel.

Continuez-vous à enseigner ?

TL : Oui, aujourd’hui j’enseigne la technologie et l’anatomie, les savoirs de base. Ce travail en salle de cours est fondamental pour moi. Enseigner c’est un requestionnement permanent ; on ne fait pas cours pour une masse mais pour des individus ayant chacun leur propre fonctionnement, du coup il faut souvent reformuler jusqu’à ce que chacun ait pu s’approprier l’enseignement et cela est souvent bénéfique pour l’élève comme pour l’enseignant !

À la recherche de « l’intelligence en kinésithérapie »

Le masseur-kinésithérapeute est vu comme un manuel, qui masse et fait faire des exercices décidés par le médecin. Cependant, la profession a évolué et, même s’il demeure auxiliaire médical donc astreint au suivi des prescriptions du médecin, le kiné a gagné une certaine autonomie et a, dans sa pratique quotidienne, de plus en plus la possibilité de décider des gestes à accomplir.
Or, qui dit autonomie dit responsabilité. Le propos de Thierry Lassalle dans son mémoire de DEA obtenu en 2005 et intitulé « L’intelligence en kinésithérapie », c’est précisément la compréhension du processus, du raisonnement, que le kinésithérapeute doit développer pour mettre en pratique ses compétences. C’est l’analyse de la réflexion préalable qui conduit à l’acte. Une approche essentielle pour l’avenir de la kinésithérapie.

En 25 ans, les étudiants ont-ils changé ?

TL : Je ne crois pas que les étudiants aient changé. Ce qui a changé, c’est leur environnement. Par exemple, il est reconnu qu’à la sortie du lycée les élèves n’ont plus les mêmes compétences qu’il y a 30 ans.
Le rapport au savoir est différent : c’est bien de ne plus être dans le savoir pour le savoir et en cela la réforme des études de kiné qui privilégie l’acquisition de compétences me semble positive, mais on ne peut pas faire comme si les bases ne comptaient plus. En ce qui me concerne, les élèves savent d’ailleurs que je demeure très exigeant sur l’acquisition des bases.
Pour le reste, on a à Assas une relation avec les étudiants qui n’existe pas dans toutes les écoles : ici on connaît nos étudiants. Quand un élève que j’ai eu pendant un an passe devant ma porte sans un regard, cela me gêne. Heureusement, ce comportement est rarissime aujourd’hui comme il l’était hier.

La réforme, justement : cette année, elle ne vous touche pas encore puisque seule la K1 est concernée mais quel est votre regard à son propos ?

Portrait Thierry LassalleTL : Tout d’abord il est évident qu’il y avait un besoin de réforme car on était dans un cadre dépassé. Le programme n’avait pas changé depuis 1989 alors que la profession a évolué entre temps. En soi, elle n’a rien de révolutionnaire car en 1989, déjà, on envisageait une formation en 4 ans que le gouvernement avait bloqué pour raisons budgétaires. Ensuite, nous savions que nous allions devoir nous aligner sur le processus de Bologne, qui normalise les enseignements supérieurs en Europe et privilégie la formation aux compétences et non plus au savoir.
Pour le reste, c’est à nous de faire cette réforme.
Je vois deux défis à relever :
– même si beaucoup d’étudiants arrivaient en IFMK après un échec en 1ère année de médecine, ils devaient passer par un concours qui les obligeait à se remotiver ; désormais, cela va être à nous de les « accrocher » au cours de la K1,
– ensuite, la priorité aux compétences se traduit par moins de cours pour les étudiants, donc moins de temps à l’école, mais aussi plus de travail personnel et plus d’importance donnée aux stages dans la validation des études ; cela va sans doute nous amener à devoir accompagner et guider encore davantage les étudiants, notamment en leur apprenant à mettre en relation leurs connaissances les unes avec les autres, à travailler en lien, ce qu’ils n’ont pas appris à faire dans le secondaire.

La réforme va forcément influer sur les contours de la profession : comment voyez-vous la kinésithérapie dans 20 ans ?

TL : La bonne question serait plutôt de se demander si la kiné existera encore dans 20 ans ! Le monde de la santé évolue, les kinés vont avoir besoin de travailler en réseau or comment le leur apprendre dès lors que, pour bon nombre d’entre eux (les libéraux) l’exercice du métier restera solitaire ?
Au fil des décennies, les kinés ont souvent laissé passer des opportunités voir délaissé des pans entiers du métier. Aujourd’hui on devrait s’interroger sur l’essor des APA (Activité physique adaptée), issus de la filière STAPS et qui ne sont pas des professionnels de santé mais prennent pied en milieu hospitalier et en rééducation en bouchant les trous là où les kinés ne veulent pas aller.
Toutefois, les nouveaux professionnels se posent toujours plus de questions sur l’exercice de leur activité et il n’est pas exclu qu’un jour le statut de la kinésithérapie change et permette aux patients de se rendre chez le kiné en première intention, sans passer par leur médecin.

Le mot de la fin ?

TL : Une récente enquête de Que Choisir a montré qu’un kiné sur deux reçoit plus d’un patient à la fois ce qui, pour nous, à l’École, est inconcevable. Nous, on prépare les futurs kinésithérapeutes à prendre leurs patients un par un et je peux garantir qu’un jeune diplômé qui s’installerait en faisant le tour des médecins en disant : « ma vision de la kiné c’est de prendre les gens un par un » aurait en trois mois, bouche à oreille aidant, son planning rempli.

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