Portrait d'un premier de cordée - Ecole d'Assas - Rééducation et Santé

Portrait d'un premier de cordée

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Enseignant à l’École d’Assas depuis l’an 2000, en kinésithérapie comme en podologie, Michel Pillu est un pionnier. Des études et de la recherche en kinésithérapie mais aussi de l’ouverture à l’international et, en particulier, au monde anglophone.

Masseur-kinésithérapeute diplômé en 1973 à Paris, Michel Pillu a vite compris que le travail en libéral n’était pas fait pour lui : « Après trois mois en cabinet, je suis parti en milieu hospitalier : je préfère le travail en équipe, pouvoir partager mes connaissances et mes lectures, discuter avec les médecins et les infirmières. »

En 1974, il rejoint le Centre de rééducation pour personnes amputées de l’hôpital de Villiers-Saint-Denis, dans l’Aisne. Il y restera jusqu’en 2004.

Au début des années 80, désireux de se remettre en question, il s’inscrit à l’école des cadres de santé où il comprend que, plus que le management, c’est la pédagogie qui l’intéresse. Au quotidien, c’est le sort de ses patients amputés qui le préoccupe : comment accélérer leur retour à la maison et améliorer, durablement, leurs conditions de vie ?

De l’Ensam à l’université de Strathclyde à Glasgow

Pour tenter de répondre à ces questions, encouragé par Éric Viel, directeur de l’école des cadres de Bois-Larris, Michel Pillu va entreprendre un parcours original à l’époque en s’inscrivant à l’École nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam) de Paris. Là il va rédiger un mémoire sur les prothèses du genou qui lui vaudra d’obtenir en 1988 un DEA (diplôme d’études approfondies, devenu master en 2004) de biomécanique.

À l’issue de ce DEA, son directeur de recherche l’invite à poursuivre par une thèse mais en lui disant que, dans ce domaine, une thèse internationale, donc en anglais,serait préférable. Après avoir dûment réfléchi à ce projet, Michel Pillu s’en ouvre à Éric Viel qui lui suggère trois destinations pour de telles études : l’Italie, l’Allemagne et l’Écosse.

« Tant qu’à travailler en anglais, j’ai choisi de me porter candidat auprès de l’université de Strathclyde, à Glasgow. J’y ai rencontré des personnes extrêmement accueillantes, avec une vraie culture d’accueil des étudiants non-anglophones. Des personnes douées d’un vrai art de la pédagogie : patientes, faisant l’effort de parler lentement, n’hésitant pas à faire un schéma pour se faire comprendre. Des personnes qui, je m’en suis rendu compte par la suite, sont parmi les meilleures du monde. »

Avec le soutien financier de son centre de rééducation, essentiel pour affronter un tel cursus, et la compréhension de sa famille qui, pendant dix ans, va systématiquement le voir prendre la voie des airs pour l’Écosse au moment des vacances, Michel Pillu va finir par soutenir et obtenir cette thèse, commencée en 1991, en l’an 2000. La conclusion de ce labeur de longue haleine, réalisé au sein du département de « biomedical engineering » de l’université et portant sur « les bases biomécaniques de la rééducation des amputés du membre inférieur d’origine vasculaire », va marquer une étape clé dans sa carrière. En effet, il comprend vite que le système hospitalier français ne sait pas quoi faire d’un kiné docteur.

Enseignant-chercheur en biomécanique

De nouveau, il fait appel à l’ouverture d’esprit de son directeur de Villiers-Saint-Denis et lui propose la création d’un laboratoire de recherche en biomécanique. « Cette fois-ci, raconte-t-il, mon directeur me dit clairement qu’il n’a pas de solution pour moi et, en tout cas, pas d’argent du tout. Il accepte toutefois de me mettre à disposition des locaux dans l’hypothèse, peu probable, où je parviendrais à trouver le financement et le personnel nécessaires. »

chercheur Michel Pillu« La notion d’enseignant-chercheur en kinésithérapie n’existait pas en France à l’époque, mais c’est ce que je souhaitais faire. Après m’être assuré une base de revenus et d’activités en me lançant dans l’enseignement – c’est à ce moment que j’ai commencé à travailler avec l’École d’Assas –, j’ai exploité mon carnet d’adresses jusqu’à ce que je trouve des partenaires prêts à soutenir mes activités de recherche. J’ai tout d’abord signé une convention avec l’Ensam de Châlons-en-Champagne pour une direction de thèse, ce qui me permettait d’avoir une étudiante pour m’épauler. Restait la question financière : j’ai concouru et remporté une bourse offerte par une mutuelle privée et une autre donnée par la CNAM. »

Pour convaincre la CNAM, Michel Pillu avait un argument séduisant : la perspective d’économies substantielles. L’objet de la recherche était en effet la réduction des douleurs à l’épaule des patients âgés en fauteuil roulant. Michel Pillu était persuadé qu’améliorer le confort des personnes âgées en fauteuil permettrait de réduire le temps qu’ils passaient en centre de rééducation et, donc, ce qui motiva le soutien de la CNAM, le coût de leur prise en charge. CQFD.

Lorsque la thèse de son étudiante se termine en 2004, Michel Pillu doit faire face à l’arrivée d’un nouveau directeur à Villiers-Saint-Denis qui lui indique qu’il n’a pas l’intention de renouveler l’appui du centre à ses travaux. « Autant le système anglo-saxon, où les écoles de kinésithérapie sont insérées dans l’université et où l’université entretient des rapports étroits avec le monde de l’entreprise, favorise la recherche, autant le système français de l’époque ne comprenait pas ma démarche. Comme cela faisait 4 ans que j’enseignais, en école mais aussi à l’université et que j’avais été amené à intervenir dans différents congrès internationaux de biomécanique (à Montréal et Amsterdam notamment) et que je me sentais de plus en plus à l’aise sur une estrade, à partager mes connaissances et mes recherches, je me suis à partir de cette date consacré encore davantage à l’enseignement. »

Et Assas dans tout cela ?

Aujourd’hui, comme à ses débuts, Michel Pillu enseigne la cinésiologie pour les étudiants masseurs-kinésithérapeutes de l’École d’Assas et l’anatomie pour ceux en pédicurie-podologie. « Je travaille avec les premières années et leur fais découvrir tout ce qui touche à l’homme sain. C’est très intéressant d’intervenir dans les deux cursus. Parfois, je me dis que ce serait une bonne idée de faire des cours communs car les kinés et les podos n’ont pas le même rapport au corps et que la confrontation de leurs visions serait enrichissante. Hélas, il semble que les textes réglementaires ne le permettent pas… »

En plus, Michel Pillu est aujourd’hui très impliqué dans l’ouverture à l’international de l’École. Tout d’abord par la mise en place des cours d’anglais dans le cadre de la réforme des études. Auteur d’une thèse de plus de 700 pages rédigée en anglais et traducteur scientifique reconnu, il considère que tout commence par la lecture et, plus spécifiquement, par la lecture scientifique : « À la fin de la première année, il faut que les étudiants soient capables de lire, de comprendre et d’assimiler un article scientifique. » Qui dit cours d’anglais dit aussi appel à des professeurs invités qui feront cours dans leur langue. Michel Pillu aide ainsi à la mise en place de partenariats dans le monde anglo-saxon qu’il connaît bien. Il le fait d’autant plus volontiers qu’il considère que « l’École d’Assas est en avance en la matière ». Enfin, il participe de la veille scientifique de l’école par son suivi régulier de l’actualité en langue anglaise.

Sa vision de l’avenir

Pour Michel Pillu, il ne fait aucun doute que la kinésithérapie anglo-saxonne (ÉU, Australie, NZ) a entre 10 et 15 ans d’avance par rapport à la nôtre en matière de qualité d’évaluation des patients et d’esprit de recherche. « Les praticiens ont recours à des outils spécifiques et à des grilles d’évaluation très détaillées. Évidemment, cela peut parfois avoir pour effet pervers de mettre les gens dans des cases et de conditionner ainsi les remboursements – très encadrés par les mutuelles privées – et, partant, les soins. Toutefois, comme l’illustrent bien les travaux de Joshua Cleland dont j’ai le privilège d’être le traducteur en français, les anglophones ont une vraie science de l’évaluation. De même, le fait que les écoles soient universitarisées aide à l’intelligence de profession. Rien d’étonnant à ce que les masseurs-kinésithérapeutes anglo-saxons soient très souvent prescripteurs et non pas juste des techniciens exécutants. »

C’est précisément autour de ce défi, celui de passer d’un métier de technicien à un métier de prescripteur que Michel Pillu voit l’avenir : « D’un métier, qui sous-entend l’exécution d’une technique maîtrisée, il faut passer à une profession, c’est-à-dire à la prise en charge globale d’un client, en l’occurrence le patient, qui doit pouvoir avoir un accès direct à nous. »

En substance, le patient doit pouvoir venir chez un kinésithérapeute, lui dire « J’ai mal à l’épaule » et le kinésithérapeute le prendre directement en charge. Bien entendu, cela suppose un changement de la réglementation mais Michel Pillu pense que cela viendra, comme c’est déjà le cas chez nos voisins belges par exemple. Cela passe aussi, et c’est l’un des enjeux de la familiarisation avec les méthodes d’évaluation anglo-saxonnes que propose l’École d’Assas, par des professionnels formés au diagnostic différentiel et capables d’identifier les « red flags » (drapeaux rouges) qui leur permettront d’orienter les patients porteurs des pathologies les plus sensibles ou graves vers les médecins.

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